CHARLES CLAIR

BIOGRAPHIE SIGNÉE PASCALE NIZET

CHARLES CLAIR

BIOGRAPHIE SIGNEE PASCALE NIZET

À 38 ans, Charles Clair est à la tête d’un petit empire aéronautique. Dès les années 2000, son nom commence à circuler dans le cercle restreint de l’aviation d’affaires. Aujourd’hui, il est seul aux commandes d’une compagnie aérienne d’avions privés, de la première école de pilotage française, d’une société d’assistance aéroportuaire, ainsi que d’un centre de maintenance aéronautique. La première affaire, fondée avec seulement 2.000 euros d’économies en poche, a prospéré. Il vient d’investir 10 millions d’euros dans l’acquisition et la rénovation du plus grand terminal de l’aéroport du Bourget. Itinéraire d’un enfant gâté par ses intuitions.

Rien ne prédestinait ce fils de prothésiste dentaire et d’une mère au foyer à devenir pilote. Patron de pilotes peut-être davantage… C’est lors de vacances familiales aux États-Unis que Charles Clair entend les voix de l’aviation lui souffler sa vocation.

Lors d’un vol de découverte en hydravion au-dessus du Mississipi, le pilote lui passe les commandes alors qu’il n’a que 15 ans. « Ce fut une évidence, je voulais devenir pilote. » Outre l’attrait pour la machine et le pilotage, le profil de l’entrepreneur est déjà là : « J’ai compris ce jour-là que dans la vie, il faut d’abord se fixer un objectif, puis on trace la route pour l’atteindre. L’aviation, c’est cela. » Motivation, ambition, puissance de travail sont les mots qui viennent à l’esprit, à l’écoute de la suite de l’histoire.

Charles CLAIR

De l’avion léger au Falcon privé

L’heure n’est pas à convaincre des clients. Charles doit d’abord persuader ses parents qu’il a trouvé le bon métier. À la fin des années 90, le recrutement de pilotes de ligne n’est pas au beau fixe. « Une fois inscrit à l’aéroclub, il fallait que je leur prouve que ce n’était pas un caprice d’adolescent. » La preuve est faite à peine un an plus tard, le jour de ses 16 ans, Charles est « lâché solo » sur un avion de l’Aéro-Club Air France (ACAF) à Toussus-le-Noble, dans les Yvelines. Encore un signe du destin comme nous allons le voir… À 17 ans, il est breveté pilote privé. Papa et maman sont rassurés sur la motivation et l’assurent de leur soutien financier pour sa formation de pilote professionnel. Charles, lui, doit encore apprivoiser l’avion.

« Je revenais souvent blanc et très fatigué de mes premiers vols ! ». Après son baccalauréat, la première étape professionnelle de la formation de pilote est le sacro-saint ATPL théorique que Charles étudie à plein temps à l’Institut Mermoz dès septembre 2000. Il réussit les 14 certificats du premier coup et rejoint ensuite l’EPAG, à l ‘époque célèbre école de pilotage du Nord de la France qui formait les futurs équipages de la compagnie Air France. Une fois sur le marché du travail en 2003, Charles envoie des centaines de CV aux compagnies aériennes. En vain, nous sommes en plein dans la crise du 11 septembre et la conjoncture est au plus bas. Décidé à ne plus compter sur les deniers familiaux, Charles cherche un emploi provisoire, le temps de se mettre à l’abri en attendant des jours meilleurs.

«J’ai compris ce jour-là que dans la vie, il faut d’abord se fixer un objectif, puis on trace la route pour l’atteindre. L’aviation, c’est cela.» 

Il devient alors assistant pédagogique à l’Institut Mermoz et investit le pécule gagné à ce poste dans une formation de pilote instructeur, dans l’idée de « monter ses heures de vol » et ainsi paraître plus séduisant à de potentiels employeurs. Sa toute première activité de pilote professionnel lui est offerte par l’Aéro-Club Boulogne-Billancourt (ACBB) sur l’aérodrome de Saint-Cyr-l’École. Installé comme instructeur bénévole en place droite d’un Robin DR400, il s’enthousiasme à l’idée de mettre en pratique la théorie qu’il transmet à ses élèves au travers de méticuleux briefings pré et post-vols. Trop longs au goût des responsables du club qui voient les heures de vol de la flotte chuter depuis l’arrivée de Charles !

« Do it well or don’t do it, c’est ma devise. » Charles Clair comprend, avec cette première expérience professionnelle que son obsession du travail bien fait ne sera comblée qu’au sein de sa propre école de pilotage. Elle s’appellera Air & Compagnie, nous sommes en 2004 et rapidement le succès est là, les inscriptions aux cours de pilotage « à la Charles Clair » affichent complet.

Charles obtient son entretien et abat son masque devant la directrice de la compagnie. « Je lui ai avoué que je n’étais absolument pas commercial de métier, mais que je voulais simplement devenir pilote chez eux. » Devant l’audace du candidat, et bien que DARTA ne recrute pas à ce moment-là, Sylvie Darnaudet lui promet qu’il sera le prochain pilote embauché. Elle fait aussi un pronostic qui ne va pas tarder à se vérifier : « Nous vous prendrons comme pilote, mais je vous prédis que vous ne resterez pas chez nous, vous n’êtes pas fait pour être navigant… » Tout du moins, pas seulement.

Charles met à profit ce nouveau sursis pour aller parfaire son anglais au Royaume-Uni. « Et puis un jour, alors que j’étais attablé chez Starbucks, je reçois un appel du chef pilote de DARTA : tu commences lundi, sur Beechcraft 200 ! ». Objectif atteint. Il faut donc en fixer d’autres. Il vient proposer à DARTA un partenariat en tant qu’apporteur d’affaires. C’est le début de la grande époque des « brokers », ces courtiers faisant l’intermédiaire entre les clients et les opérateurs aériens.

La force de persuasion qui a fonctionné avec ses parents redouble, Charles décroche ainsi un contrat commercial d’apporteur d’affaires avec DARTA. Il faut alors trouver les clients pour garder la confiance de la maison ! Grâce à ses relations au sein de l’organisation du Tour de France, il permet à DARTA de vendre au Tour de France un premier vol privé pour le transport des cyclistes et de VIP, renonçant à sa commission pour arracher l’affaire au nez des courtiers concurrents. L’objectif ici n’était pas de gagner de l’argent, mais uniquement de rencontrer Sylvie Darnaudet, décisionnaire pour l’embauche des pilotes au sein de la compagnie DARTA. Toujours la fameuse route…

Mais l’objectif du petit garçon survolant le Mississipi n’est pas atteint pour autant. Les épaules de la chemise demeurent vierges de tout galon… Charles, tout en développant son école « Air & Compagnie », poursuit sa quête d’un emploi de pilote de ligne. Tout est une question de route s’était-il dit dans le cockpit de cet hydravion… il faut adopter une stratégie différente…

Charles s’intéresse alors à l’aviation d’affaires, quand ses camarades de promotion ne conçoivent le métier qu’avec une centaine de passagers derrière eux. Il se rapproche de la compagnie DARTA, pour « DARnaudet Transport Aérien », un des opérateurs pionniers de l’aéroport du Bourget, célèbre pour son ambiance familiale mais aussi pour le cerbère placé à l’entrée, un directeur commercial qui filtre les nouveaux arrivants, quelque soit le poste convoité. Certain que son CV ne franchira pas le bureau de la direction s’il le soumet de façon classique, Charles adopte une approche plus originale.

Tout en assurant le rythme soutenu d’un pilote d’avions d’affaires en astreinte permanente dite « au bip », Charles poursuit le développement d’Air & Compagnie. Il adopte le rythme de travail qui est pour ainsi dire toujours resté le sien : « Hors repos réglementaires, je travaillais 7 jours sur 7, et me déplaçais quotidiennement entre Toussus et Le Bourget avec mon 2 roues ». Scooter, costume impeccable, élocution et regard assurés, c’est le chef d’entreprise que nous avons devant nous.

Alors qu’Air & Compagnie franchit la barre des 3 millions d’euros de chiffre d’affaires, Charles Clair évolue en 2009 comme pilote sur Falcon 50, puis devient adjoint au chef pilote de la compagnie DARTA. Il réforme le système de gestion d’exploitation et ajoute sa patte, exactement comme il avait tenté de le faire chez son premier employeur. « C’est à ce moment que j’ai senti la passion de l’entreprise prendre l’ascendant sur celle du pilotage ». Un beau jour, il dit aux Darnaudet père et fille : « Le Beechcraft 200 c’est fini, il faut passer au Very Light Jet. » C’est avec l’aplomb qui le caractérise que Charles ose dire à des patrons de compagnie dont la majorité de la flotte est composé d’avions à hélices qu’il faut changer de modèle. Quelques mois plus tard, le marché des « VLJ » explose avec l’arrivée du Cessna Citation Mustang.

Charles persuade un pilote propriétaire dont l’avion privé de type Cessna Citation Mustang est hébergé chez DARTA de le mettre en flotte de Transport Public au sein de la compagnie DARTA afin d’amorcer la transition. Il incite ainsi les Darnaudet à ouvrir un nouveau secteur de vol, avec un 10e type d’avion. Chargé de l’intégrer en liste de flotte auprès de la Direction Générale de l’Aviation Civile pour le compte de DARTA, Charles Clair essuie un refus. 10 types différents, c’est trop pour cette compagnie.

Le rêve d’avoir sa compagnie aérienne

C’est sans compter sur son obstination. « Depuis que je volais chez DARTA, je vivais avec mon salaire de pilote et n’avais pas touché à mes revenus d’Air & Compagnie. ». À nouveau, il a une proposition à faire aux Darnaudet : « Je vais investir les réserves financières de mon école de pilotage pour monter ma propre compagnie et exploiter cet avion. Mais il volera en exclusivité pour le compte de DARTA. En échange, vous me garantissez 300 heures de vol annuelles. » Affaire conclue. Le CTA (Certificat de Transporteur Aérien) de la nouvelle compagnie « Astonjet » est enregistré en février 2012.

Mais un an plus tard, DARTA passe sous le contrôle d’un groupe d’aviation d’affaires concurrent. L’heure est à la consolidation, le modèle économique familial qui a fait le succès de la compagnie a fait son temps. À la même période, les visions ne sont plus si convergentes, Charles dénonce l’exclusivité et part voler de ses propres ailes. « Pour la première fois, j’allais devoir vivre de mon entreprise, sans la sécurité de mon salaire de pilote ! » C’est le grand saut.

Charles s’organise : holding, atelier de maintenance, un, deux, trois avions, il investit initialement 400.000 euros dans l’acquisition d’infrastructures à Toussus. Un grand patron du CAC 40 lui confie également son avion privé. Charles démontre encore ses talents de négociateur : « J’avais 15 minutes au conseil d’administration de ce groupe pour les convaincre d’acheter un nouvel avion, j’avais répété mon pitch des dizaines de fois, il a duré 17 minutes, j’ai eu l’avion. »

La barre des 10 millions de CA du groupe est alors franchie en 2014. La flotte d’Astonjet continue de se développer et intègre en plus des premiers Cessna Citation Mustang qui l’ont constituée, les derniers fleurons du constructeur américain comme le Citation M2 dès 2016, ou encore le Citation Latitude en 2017. « Dès 2019, nous passerons au long courrier avec des avions d’affaires plus lourds et encore plus performants ».

Charles Clair a désormais sa propre compagnie aérienne, Astonjet fondée en 2009 ; une école de pilotage, Astonfly (anciennement dénommée Air et Compagnie) née en 2004 et désormais premier ATO (Air Training Organisation) français avec près de 150 pilotes de ligne formés chaque année et une flotte dédiée, donc distincte de celle de la compagnie, d’une quarantaine de mono et bimoteurs légers.

Nouveaux projets immobiliers à l’aube de 2018

« Quand on exploite des avions de plus en plus nombreux et de plus en plus gros, les propriétaires ne se satisfont plus d’un hébergement de leur avion dans le terminal d’un tiers, comme c’était le cas avec notre partenaire du Bourget jusqu’à l’année dernière… » Avoir son propre terminal, la voilà la prochaine étape sur la route de Charles Clair !
Pourtant l’ambition n’est pas -encore- celle-là quand Charles Clair vient rencontrer le groupe Signature Flight Support (BBA), gestionnaire de trois terminaux « FBO » (Fixed Base Operator) au Bourget, au printemps 2018. Il vient se renseigner pour louer un étage du terminal 2, situé le plus au Nord de l’aéroport.

C’est au cours du rendez-vous que l’idée apparaît comme une évidence : « Et si je vous achetais tout le bâtiment ? » Le groupe anglais n’est même pas vendeur ! Pourtant, sensibles aux arguments de Charles, il vend. « Trois FBO au Bourget, il y en avait un de trop, et je crois qu’ils ont été rassurés par le fait que je ne sois pas un concurrent direct. Tous les autres groupes d’assistance aéroportuaire sont aux mains d’actionnaires pesant plus de 500 millions d’euros chacun alors que mon capital n’est que de 500K ! »

Ce terminal, rénové aux standards 5 étoiles, héberge depuis septembre 2019 la flotte de la compagnie aérienne Astonjet et est baptisé « Terminal Astonsky », avec 7 000 m2 de bureaux, 3 hangars et 16 000 m2 de parking avions. « Nous voulons faire d’Astonsky une référence du luxe à la française, dédiée à une clientèle toujours plus exigeante. Nous avons entièrement repensé l’accueil et le service à offrir aux passagers et aux équipages qui arrivent chez nous. Au-dessus, cinq étages sont réservés aux activités du groupe et à quelques locataires, le tout dans un environnement que nous voulons exceptionnel. » Pour ce projet immobilier aussi, les idées sont bien arrêtées !

Au Sud de Paris, le pôle de Toussus-le-Noble s’accroît également avec l’acquisition de nouveaux avions et simulateurs. Clair Group aujourd’hui, ce sont 130 collaborateurs, 30 millions d’euros de CA, 11 avions chez Astonjet, et 40 chez Astonfly.
La route est devenue plus droite depuis les années 2000… Charles Clair rêve de gérer des structures plus importantes. « À chaque niveau d’entreprise, on apprend : dans une TPE on est opérationnel, dans une PME, gestionnaire, puis dans une ETI, stratège…

Une entreprise qui ne se développe pas, recule, il ne faut jamais l’oublier. » On l’a vu, quand Charles Clair a un rêve, il le réalise. Attendons donc de connaître la pro-chaine corde à l’arc de Clair Group.

Pilote un jour…

Et le pilotage dans tout ça ? « Je garde mes licences à jour et continue de voler, c’est important pour l’expertise que je me dois de conserver pour conseiller mes futurs clients propriétaires. Mais je suis très certainement le dernier pilote de la compagnie à être programmé en vol ! » Comme tous les opérateurs actuellement, Astonjet subit la pénurie de pilotes, alors en cas de sous-effectif, on appelle le patron ! « Quand je prépare mon vol, je me demande ce que je fais là, le téléphone n’arrête pas de sonner et il faut se concentrer… Puis on verrouille la porte, on met en route les moteurs, on décolle, on rentre le train, et seulement là, je me dis que cette activité est exceptionnelle et je profite de la coupure avec le sol. » Au moins pour cette raison, Charles continuera à voler, pour faire des pauses ! Il s’est même acheté un Cirrus SR22 pour aller plus facilement à la rencontre de ses clients en Europe.
D’ailleurs son pilotage, Charles Clair ne l’exerce pas que dans les airs mais également dans le sport automobile à bord de monoplaces du type Formule 3, son autre passion quand le temps le lui permet (et c’est rare).

Biographie réalisée par Pascale Nizet, spécialiste presse et aéronautique.